Aller au contenu principal

Brevet du régiment de la calotte pour le S. Procope-Couteau,

Brevet du régiment de la calotte

pour le S. Procope-Couteau, médecin,

frère du limonadier, vis-à-vis la Comédie Française1

De par le dieu porte-marotte,

À tous nos auditeurs de Rote,

À Mercure, notre cousin,

À tout génie, à tout lutin,

Salut, grâce et meilleur destin

Qui ne vient onc de médecine.

Savoir faisons, qu’au sieur Procope

Diminutif d’ancien Ésope,

maleficié plus que lui2

Et tellement que Bottentui3 ,

Non pas même La Peyronie

Et maint docteur en chirurgie,

Ne virent magot si mal fait,

Ni médecin mieux contrefait.

Si pourtant que le Sieur Procope

Se travestit en misanthrope

Et après avoir bien maudit

En prose, en vers, qui l’aurait dit !

Les successeurs des doctes mires,

Tant protégés par les francs sires,

Et pour mieux les persécuter

D’avance il descend en enfer.

Là, cet avorton de nature,

Indigne d’être la pâture

Des vers qui dévorent les morts,

Tant est puant son vilain corps,

Osa doubler le grand Orphée

Et s’ériger en coryphée

De sa salubre faculté

Pour couvrir son iniquité.

Mais en vain il fait ses excuses,

En vain il étale ses ruses ;

Dès qu’il paraît et veut parler,

Aussitôt on entend hurler

Les ombres tristes et malheureuses

Dont les erreurs pernicieuses

Des ignares docteurs et régents

Ont abreuvé les plus beaux ans ;

Plus il s’écrie à l’imposture

Pour mieux rejeter la censure

Sur les faiseurs de quiproquos,

Plus il excite le murmure

Des compagnons du diablezot.

Il appelle en vain Esculape,

En vain il a recours au pape

Qui a fondé sa faculté.

Pluton en paraît insulté

Et branlant sa terrible fourche,

D’un air chagrin plus que farouche,

Il parle ainsi à l’orateur,

Au poète, au solliciteur

De l’école médecinale

Qui ne souffre point de rivale.

Apprends, dit-il, qu’en ce manoir

Depuis le matin jusqu’au soir

Ces compagnons y font descendre

Bien plus d’âmes que le Saxon4

Qui soumet tout au grand Bourbon

Et quantefois sous Alexandre

Il n’en dévala ici-bas

Aux jours de ces cruels combats.

Sors donc d’ici, docteur infâme,

À vilain corps, plus vilaine âme ;

Va continuer d’exterminer

Les mortels et de dominer

Avec la cabale empirique

La médecine chirurgique

Mais ne pars pas sans consulter

Un de ses chefs, le plus chimique.

Il est aux Champs-Élysées

Avec les Chiracs, les Galiens.

Peyronie ne se sent pas d’aise

De quitter le séjour de braise

Et d’éviter le châtiment.

Il part donc et sans compliment

Il court aux Champs-Élysées,

Séjour des ombres fortunées.

Elles fuyaient à son aspect.

La Peyronie par respect

Pour le mandement plutonique

S’approche pourtant du critique

Et de sa rive, et de sa mort,

Et sans lui dire qu’il a tort,

Il exhorte le Sieur Procope

À mieux copier son Ésope,

À convertir ses corégents,

À mieux employer ses talents,

À rendre enfin plus de justice

À tout maître, à tout novice

Dans l’art le plus sûr de guérir.

Peyronie feint d’y consentir.

Mais à peine il voit la lumière

Qu’il s’élance dans la carrière

Des plus satiriques écrits.

Pour séduire tous les esprits

Il leur présente une brochure

Marquée au coin de l’imposture

Dont le titre seul fait horreur5 .

Il n’ose s’en nommer l’auteur

Tant elle est digne de brûlure.

C’est pourtant cet ouvrage exquis

Qui doit lui mériter le prix

De l’académie marotique,

Car cet impertinent critique

Ne peut se flatter d’être admis

Dans l’ordre des beaux esprits

Ni dans aucune académie

Sinon en celle où l’eau-de-vie

Assaisonne tous les discours

Et où son frère a fait des cours.

Pour nous qui servons de ressources

À ceux qui puisent dans la source

De la satire et du faux,

De la folie et du chaud,

Comme Procope le poète

Afin qu’il lève mieux la crête

Contre les Lapeyroniens

Et les gradués chirurgiens.

Nous jurons par notre marotte

Qu’au Régiment de la Calotte

Nous l’enrôlons pour y servir

À peu vivre, à faire mourir

Tous ceux qui auront la manie

De préférer la chirurgie

À la salubre faculté.

Et pour que rien soit imputé

À ce médecin misanthrope,

Mandons à la femelle Atrope

De le servir à son souhait

Afin qu’il soit plutôt défait

De tout humain qui l’incommode.

Exhortons l’infernal custode

À lui ouvrir ses trois gosiers

Quand il quittera les foyers

De l’italiene Comédie

Où jadis sa verve et manie

Glaçait le parterre et l’acteur

Quand le frère de cet auteur

Régalait la troupe française

Par le débit de sa cervoise,

De son orgeat, de ses liqueurs.

À ces causes, considéré

Le tout et bien délibéré,

Voulons que Procope le docte

Soit désormais dans une botte

Comme en un char triomphateur

Placé, nommé vrai orateur

De toute la gente marotte ;

Voulons de plus qu’une calotte

Faite exprès pour son charmant chef,

Lui donne l’air d’un Betuchef [sic]

Et soit parfaitement ornée

De la plus brillante livrée

Qui décore le Régiment,

Et de grelots pour complément,

Les quiproquos, les aphorismes,

Les conjectures, les maximes,

Les erreurs de la faculté

Soient les garants de la santé

De cet auguste prosélyte,

De tous les marotins l’élite.

Enfin, pour mieux combler son sort,

Nous voulons que jusqu’à la mort,

Tout le respecte, tout l’honore,

Qu’après son décès on l’implore

Pour courir plus vite au trépas

Quand de vivre l’on sera las.

Si commandons à nos corvettes,

À nos tambours, fifres, trompettes,

À tous hérauts du Régiment,

De publier incessamment

Par tout l’empire marotique

Que du médecin capropique

On observe les règlements

Sous peine de vivre longtemps.

Fait et donné l’an merveilleux

Dans le séjour délicieux

Où notre marotte domine.

Vu Martineng6 , signé l’Épine7 ,

Visa Astruc8 , scellé Chomel9

Faisant fonction de garde-scel.

  • 1On lui attribue une pièce de vers contre les chirurgiens qui a pour titre La Peyronie aux Enfers ; c’est ce qui a occasionné ce brevet
  • 2Il est petit et contrefait.
  • 3Chirugien pour les factures, qui est fort laid.
  • 4Le maréchal de Saxe.
  • 5La Peyronie aux enfers.
  • 6Martineng, professeur de la chirurgie latine.
  • 7L’Épine, médecin de la faculté de Paris.
  • 8Astruc, médecin consultant du Roi, de la faculté de Montpellier.
  • 9Doyen des médecins.

Numéro
$7417


Année
1748 octobre




Références

.F.Fr.10478, f°241-244 - Clairambault, F.Fr.12718, p347-56