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Apologie des paniers

Apologie des paniers1
C’est en vain, mesdames,
Qu’on veut nous blâmer ;
Vainement l’on trame
De nous réformer.
Des paniers la mode gentille
Sait se faire admirer partout ;
Par son art surtout,
L’on se distingue chez nous.
Quoi de plus aimable
Qu’un joli panier ?
Il est admirable,
Commode et léger ;
Oui, mesdames, par sa structure
Il rend le damas bien plus beau ;
Le moindre cerceau
En est fait en miniature ;
Le moindre cerceau
Nous représente un berceau.
Êtesvous mal faite,
Mettez un panier,
Il vous rend bien faite ;
A chacun il sied.
L’on en trouve de toute espèce,
De tout âge, de toute façon,
De paille et de jonc,
De toute condition.
Margot, la servante,
Avec son panier,
A l’air apparente
Dessous cet osier ;
Elle imite la demoiselle,
Et vante partout ses appas ;
Et souvent par là
Elle se croit la plus belle,
Et souvent par là
La laide vous charmera.
Rendezvous visite,
Prenez un panier,
Car, sans son mérite,
Vous pourrez choquer.
D’abord, toute la compagnie
Se déchaînera contre vous,
Contre votre goût ;
Ce n’est point une folie,
Contre votre goût
Chacun porterait son coup.
Auprès d’une femme
Voulezvous entrer,
Faites à la dame
Un joli panier.
Comme habile en cette méthode
Aussitôt elle vous prendra.
L’on vous gagera
Comme ouvrière à la mode,
L’on vous gagera
Doublement pour ce talentlà.
Vive l’ouvrière
Qui sut inventer
La belle manière
De porter panier !
L’on est leste et l’on est pimpante,
Mesdames, par ce beau secret
Qui rend en effet
La plus maigre, la plus bouffante,
Qui donne en effet
Un air mignon et bien fait.
Une aune de toile
Fait tout l’ornement
De ce nouveau voile
En habillement.
De l’osier ou de la baleine,
Étagés bien également
Du bas au montant,
Nous orne, ma foi, sans peine,
Et sans grand argent
L’on s’habille proprement.
A votre critique,
Messieurs les jaloux,
Nous faisons la nique,
Nous rions de vous.
C’est être, messieurs, bien moins sage
Que les fous les plus insensés,
Que de critiquer
Des paniers l’ancien usage,
Que de critiquer
Nos habits et nos paniers.

  • 1Les paniers avaient été mis à la mode par Mme de Montespan, qui les croyait propres à dissimuler ses fréquentes grossesses. L’abus que l’on fit de cet accessoire de la toilette lui attira de nombreuses critiques, Duguet et Bridaine en blâmèrent l’emploi et, en 1727, un fameux prédicateur, l’abbé Bazin, leur consacra deux grands points dans un sermon sur la luxure. L’archevêque d’Arles, Forbin Janson, se montra plus sévère encore ; dans un singulier mandement, publié en septembre 1732, à l’occasion du jubilé, il interdit aux dames de porter ces paniers qu’il appelait opercula iniquitatis. Ce mandement fut lacéré par arrêt du Parlement d’Aix ; ce qui fit dire plaisamment à Marais : « Nos dames ne seront pas fâchées d’être maintenues par arrêt dans la possession de leurs paniers, qui ne seront plus regardés comme des engins d’enfer ou des couvertures du diable. » (Correspond. avec Bouhier.) (R)

Numéro
$0771


Année
1727




Références

Raunié, VI,20-23 - Clairambault, F.Fr.12700, p.273-76 (permis d'imprimé du 20 septembre 1727)


Notes

2 ff. in-32, 4 p. Chanson nouvelle ou apologie des paniers Permis du 27 septembre 1727. (Clairambault)