Aller au contenu principal

Réponse à M. de Voltaire

Réponse à M. de Voltaire
En vain tu cherches le bonheur
Sur les bords du lac de Genève.
La source en est dans notre cœur.
Hors de là, ce n’est qu’un beau rêve.
Tes jardins et ta liberté
N’en offrent qu’une fausse image
Et, malgré ton doute affecté,
Le vrai bonheur est pour le sage.
Mais quel est-il ce sage, enfin ?
Est-ce un disciple d’Épicure,
Qui, suivant en tout la nature,
En fait ses moyens et sa fin ?
Est-ce un stoïcien hypocrite
Qui, soutenu par son orgueil,
Affecte de braver l’écueil
Dans lequel il se précipite ?
Est-ce un bel esprit dont le nom
Retentit dans toute l’Europe,
Qui, fier du succès de Mérope,
Se croit un nouveau Salomon ?
Est-ce un usurier littéraire
Qui revend vingt fois ses écrits,
Reconnaît ceux qui sont proscrits
Quand ils rapportent du salaire ?
Serait-ce un poète indiscret
Dont la muse, sans retenue,
Conduit Ixion dans la nue,
Complice du même forfait ?
Est-ce un courtisan téméraire
Qui, séduit par la vérité,
Ou par un excès de bonté,
Se croit tout d’un coup le confrère
Du trône et de la Majesté ?
Est-ce un politique irrité
Qui, frondeur de la monarchie,
Sous le beau nom de liberté
Nous conduirait à l’anarchie ?
Est-ce un Français dénaturé,
Sans pudeur et sans politique
Qui fait un œuvre impi-comique
D’un trait d’histoire révéré ?
Ces gens-là ne sont pas mon sage.
Le bonheur n’est pas fait pour eux.
Vainement ils forment des vœux ;
L’inquiétude est leur partage.
Mon sage reconnaît Dieu,
L’adore en tout temps, en tout lieu ;
Il soumet à sa providence
Ses travaux et tous ses projets ;
Il borne toute sa science
À l’art d’étendre ses bienfaits ;
Ses jours coulent dans l’innocence,
Et les divers événements
N’altèrent point ses sentiments.
Son âme sans être insensible,
Soutient les plus rudes revers,
Respectant la main invisible
Qui dirige cet univers.
Mon sage attend d’un esprit ferme
La fin des jours qu’il a reçus ;
À peine sont-ils aperçus
Qu’il croit en entrevoir le terme.
Après avoir bien combattu,
Il avance d’un pas tranquille
Dans ce délicieux asile
Où conduit enfin la vertu.
Si ma route te paraît dure
Je t’offre un chemin plus nouveau :
Fais rétrograder la nature
Et deviens l’homme de Rousseau.

Numéro
$4681


Année
1755 septembre




Références

Arsenal 2964, f°214-15