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Les Exploits du Parlement

Les exploits du Parlement1

 

Amis, chantons gravement
Les exploits du Parlement,
Qui ne veut point dans la France
Souffrir légère finance.
Lampons, lampons,
Camarades, lampons.

Tous ces messieurs assemblés
Ont dit: Nous serons bernés,
Si nous restons en silence.
Faisons notre remontrance2 .

Il n'en faut pas rester là[;
Agissons avec éclat.
Menaçons de la potence
Le manque d'obéissance.

Les gens du roi promptement
Sont allés vers le Régent.
Le bon prince était à table
Avec troupe sortable.

Ils dirent sans compliment:
Redoutez le Parlement,
Car dans ce lieu on fricasse
Votre argent et votre Law.

A ce discours, consternés,
Le Régent et ses roués
Se regardaient sans rien dire ;
Au diable le mot pour rire !

Enfin, d'un air furieux,
Le Régent roulant les yeux,
Dit: F... des remontrances
Sur l'état de la Régence !

S'ils viennent, je suis tout prêt.
Messieurs, voici mon arrêt:
Qu'on mette la bourre au ventre
Du premier b... qui entre.

Sortons, se dit Chauvelin3 ,
Laissons-lui cuver son vin.
Demain il sera plus sage,
Nous reprendrons notre ouvrage.

Ils vinrent le lendemain4 .
Le Régent fut plus humain,
Et dit: Quitte à les entendre,
Mais qu'en peuvent-ils attendre?

Leur bruit n'ira pas plus loin:
J'ai su pourvoir au besoin ;
J'ai mis les gardes en armes,
Pour prévenir les alarmes.

La Bastille et l'Arsenal
Sauront arrêter le mal ;
La Monnoye, Law et la Banque
Sont gardés que rien n'y manque5 .

Enfin vint le Parlement,
Et le premier président
Dit en trois mots son affaire:
Vous avez fait, faut défaire6 .

L'argent haut fait tort à tout.
Votre édit est fait sans nous.
Vous serrez trop la courroie,
Nous voulons d'autre monnaie.

Le Régent a répondu7 :
Tout le mal m'est bien connu,
Mais je ne veux rien défaire.
J'ai tout dit: Allez vous faire8 ...
Lampons, lampons,
Camarades, lampons.

  • 1Sur la demande du Parlement au Régent de pouvoir faire des remontrances au roi sur l’édit du mois de mai 1718, qui ordonne une nouvelle refonte des espèces d’or et d’argent. (M.) — « Le ministère ordonna le 30 mars que le marc d’argent, qui, après avoir essuyé plusieurs variations rapides depuis la mort de Louis XIV, était alors à quarante livres, serait à soixante, et que ceux qui porteraient à la Monnaie des anciennes promesses du Gouvernement, nommées billets d’Etat, avec une certaine quantité d’argent, à quarante livres numéraires le marc, recevraient le payement total de leur argent et de leurs billets en valeur numéraire à soixante livres. Cette opération était absurde et injuste. » (Voltaire, Histoire du Parlement.) (R). Autre titre: Chanson sur les remontrances du parlement au sujet de l’édit des monnaies au mois de juin 1718. Par cet édit les espèces se trouvent tellement altérées et le prix si fort augmenté que les nouveaux écus qu’on fait valoir 6# ne sont pas si forts que les anciens écus de 3#. (Arsenal 2961)
  • 2 Pour donner plus de valeur à ses remontrances, le Parlement avait décidé qu’il proposerait à la Chambre des comptes, à la cour des aides, et à la cour des monnaies de se joindre à lui, il avait aussi mandé les six corps marchands, et six banquiers pour représenter combien le nouvel édit était préjudiciable au commerce. Les banquiers seuls répondirent à son appel.
  • 3Germain‑Louis de Chauvelin (1685‑1762), qui devint plus tard garde des sceaux et secrétaire d’État au département des affaires étrangères (l727), était alors président à mortier au Parlement. (R)
  • 4Les membres du Parlement allèrent, le 17 juin, demander au Régent qu’on suspendît le changement de la monnaie et qu’on leur envoyât l’édit pour l’enregistrer avec les rectifications qu’ils jugeraient à propos d’y apporter. Le lendemain 18, ils revinrent à la charge. « M. le duc d’Orléans leur dit qu’il était fort las des tracasseries du Parlement ; qu’il avait ordonné à toutes les troupes de la maison du roi, qui sont à Paris, de se tenir prêtes à marcher, et qu’il fallait que le roi fût obéi. Il a donné l’ordre à chaque commandant de ses troupes d’avertir leurs compagnies de se tenir prêtes et d’avoir de la poudre et des balles. » (Journal de Dangeau.) (R)
  • 5« Toutes ces démarches n’ont eu aucun fruit. On a envoyé cinquante soldats aux gardes à la Banque de Law pour la garder, et autant à la Monnaie pour soutenir la fabrication, qui allait toujours (parce que le Parlement avait fait défense par un arrêt de travailler.) » (Journal de Barbier.) (R)
  • 6« Dimanche 19. — Il y eut une députation du Parlement à M. le duc d’Orléans. Cette députation était composée du premier président, de tous les présidents à mortier et de plusieurs conseillers. Le premier président parla d’abord en donnant beaucoup de louanges à M. le duc d’Orléans ; ensuite il lui demanda trois choses de la part du Parlement. La première est que l’édit pour les monnaies leur fût envoyé pour l’examiner et pour l’enregistrer ensuite, après l’examen qu’ils en auraient fait ; la seconde, que le roi ait égard à leurs remontrances dans une affaire de cette conséquence et qu’ils croyaient fort préjudiciable à l’État, et la troisième, qu’on suspendît à la Monnaie le travail qu’on faisait pour la conversion des espèces. » (Journal de Dangeau.) (R)
  • 7La réponse du Régent, telle qu’elle est rapportée par Dangeau, est identique pour le fond à celle ci‑dessus, mais plus polie de forme. (R)
  • 8Allez vous faire faire (F.Fr.15130)

Numéro
$0305


Année
1718 (Castries)




Références

Raunié, III,68-73 - Clairambault, F.Fr.12697, p.81-83 - Maurepas, F.Fr.12629, p.267-70 - F.Fr.12500, p.379-81 - F.Fr.13656, p.517-19 - F.Fr.15018, 243-46 - F.Fr.15152, p.211-16 - NAF 9184, p.41-42 - Arsenal 2937, f°260r-261r - Arsenal 2961, p.492-97 - Arsenal 3132, p.376-3-79 - Mazarine Castries 982, p. 231-36 - Lyon BM, MS 758, f°64v-65r