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Panégyrique du Régent

Panégyrique du Régent1
Prince éclairé dont le courage,
Respecté de nos ennemis,
Par une politique sage
Les force d’être nos amis,
Pendant que l’Europe en alarmes
Du croissant redoute les armes,
Ta vertu nous sert de remparts,
Et nous flatte de l’espérance
De voir triompher les beaux-arts
Et la paix régner dans la France.

Héros, quand sur toute la terre
Rien n’égale votre valeur,
Qu’il sied de se faire la guerre
Et n’avoir que soi pour vainqueur !
Ce César, ce grand Alexandre,
Pour n’avoir pu d’eux se défendre,
Ont éprouvé de grands revers.
En vain, orné du diadème,
On fait trembler tout l’univers,
Si l’on n’est maître de soi-même.

De Pallas avec le courage
Nous t’avons vu dans les combats,
Prince, t’exposer au carnage,
A la tête de nos soldats ;
Et, gouvernant par la sagesse
De cette prudente déesse,
Tu vas fixer notre destin.
Sous ton équitable régence,
Ainsi que l’aurore au matin,
Se montre à nos yeux l’opulence.

Comme Jupiter par la foudre
Écrasa les fameux Titans2 ,
La justice réduit en poudre
Ces monstres qu’on nomme traitants.
Tu fuis l’ambition de Jule
Pour suivre l’exemple d’Hercule :
César tout grand, fut odieux.
Hercule, qui doit sa naissance
Au plus puissant de tous les dieux,
Ainsi signala sa vaillance.

Des coups de son bras redoutable,
Je vois tomber ce monstre affreux
Qui se rendait si formidable,
Nourri du sang des malheureux ;
Qui, nous dévorant, faisait croire
Qu’il contribuait à la gloire
D’un monarque qui fut si grand ;
Mais de son flanc épouvantable
C’est l’or qui coule, au lieu du sang ;
La source en est inépuisable.

Peuple, pour finir ta misère,
En vain par les plus grands travaux
Tu cherches au sein de ta mère
Le contrepoison de tes maux.
Plus tu parais infatigable,
Et plus ce monstre insatiable
Engloutit tes riches trésors ;
Mais Philippe, à tes vœux propice,
Va t’aider par de grands efforts
A vaincre un monstre d’avarice.

Venez, malheureuses victimes
Du luxe et de l’ambition,
Venez, en confessant vos crimes,
Mériter sa compassion.
Sa sévérité vous étonne ;
Dans le temps que Jupiter tonne,
Il avertit le criminel ;
Et qui mérite sa vengeance
Bien souvent au pied de l’autel
Ressent l’effet de sa clémence.

Conformez-vous dans l’abondance
Sur l’exemple de ce vainqueur,
Maître absolu de l’opulence,
Encor plus maître de son cœur.
Voyez sa vertu, sa naissance
Mépriser la magnificence
Des honneurs qu’on doit à son rang ;
Mais moins il exige d’hommage,
Et plus à nos yeux il est grand
Par la grandeur de son ouvrage3 .

Et vous, guerriers dont la vaillance
Nourrie au milieu des hasards
Attend avec impatience
De voir briller vos étendards,
Modérez votre fier courage,
Et vous reposez à l’ombrage
De ses palmes, de vos lauriers ;
Pour vous le Héros toujours veille.
Il chérit en paix les guerriers
Et le courage qui sommeille.

Déjà la troupe vénérable
Des ministres de l’Immortel,
Avec un zèle charitable,
Vous fait part des bienfaits du Ciel,
Et le prince qui les dispense,
Par une céleste prudence,
Unit le guerrier avec eux.
Serviteurs du dieu de la guerre,
Ensemble au Ciel faites des vœux
Qu’il le conserve sur la terre.

PLACET.

Jadis j’étais à pied, à présent réformé.
A son prince ma muse avoue avec franchise
Que vingt ans de service ont son bien consommé
Et qu’il a grand besoin du secours de l’Église4 .

  • 1« Trouvez bon que je vous invite à lire une ode que M. Gabriel, capitaine de dragons, a faite à la louange de Monsieur le duc d’Orléans, et qu’il a eu l’honneur de lui présenter. Ce prince l’a reçue le plus obligeamment du monde. M. Gabriel, distingué par ses services comme par le goût qu’il a pour les lettres, réussirait en maître de l’art dans celui de faire des vers, si sa qualité d’homme de guerre et la vivacité de son génie ne lui avaient pas donné un style hardi qu’il ne veut pas prendre la peine d’assujettir à la sévérité des règles. » (Nouveau Mercure galant, avril 1716) (R)
  • 2D’après la Fable, les Titans, fils de la Terre, déclarèrent la guerre à Saturne, qu’ils voulaient détrôner, et furent foudroyés par Jupiter. (R)
  • 3« Une familiarité noble le mettait au niveau de tous ceux qui l’approchaient ; il sentait qu’une supériorité personnelle le dispensait de se prévaloir de son rang. Il ne gardait aucun ressentiment des torts qu’on avait eus avec lui et en tirait avantage pour se comparer à Henri IV. » (Duclos.) (R)
  • 4Ce placet, qui succède aux éloges (in cauda venenum), atténue singulièrement leur portée et nous fait connaître le mobile intéressé qui dictait à l’auteur ses strophes enthousiastes. Quoi qu’il en soit, et malgré l’opinion du Mercure, on peut dire que ce capitaine de dragons cultivait les muses avec quelque succès.

Numéro
$0096


Année
1716

Auteur
Gabriel, capitaine de dragons



Références

Raunié, II,18-22