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Placet à la Reine d’Espagne

Placet à la Reine d’Espagne

Les nouvellistes du faubourg

Dans les jardins du Luxembourg

S’assemblent dès longtemps, font la paix

Et la guerre.

Ils percent dans les cabinets

Et décident des intérêts

De tous les princes de la terre.

Là, sur la puissance des rois,

Sur la religion, la finance, les lois

Chacun étale son système

Et le soutient avec une chaleur extrême.

Souvent on les entend parler tous à la fois,

Disputer vivement et s’emporter de même.

Mais depuis quelques jours on les voit consternés

Se promener le manteau sous le nez

Suivis d’une triste affluence

De désoeuvrés comme eux, observer en silence

Si par malheur quelque suisse malin

Ne viendra pas fermer les portes du jardin.

Si la chose arrivait, Dieux, la triste journée

Pour cette troupe infortunée !

Grande Reine, dont la bonté

Est égale à la majesté,

Ne permettez jamais de telles entreprises ;

Laissez à ces spéculatifs,

A ces politiques oisifs

La douce liberté de tenir leurs assises

Dans ces lieux si charmants pour eux.

Pour vos jours précieux ils feront des vœux

Et quelquefois leurs assemblées

Vous serviront d’amusement.

Vous pourrez les voir tous de votre appartement

Par pelotons formés dans les allées

Se trémousser, gesticuler,

Souvent même se quereller.

Vous les verrez tracer dans le sable docile

Des camps, des forts, un port de mer, une île,

Ouvrage aussi vain que grossier

Et qui n’est nullement du goût du jardinier.

Pour les femmes du voisinage

Pour qui le Luxembourg a des appas secrets,

Qui pourrait exprimer leur chagrin, leurs regrets,

Si la porte en était fermée.

Déjà plus d’un amant en parut alarmé.

D’ailleurs quand Votre Majesté

Vient dans ce jardin enchanté

Qu’achève d’embellir son auguste présence,

En elle on voit briller mile et mille agréments

Qui font aujourd’hui de la France

Un des plus riches ornements.

Daignez donc, ordonnez, favorable princesse,

Qu’on vienne en ces jardins ainsi qu’auparavant ;

Souffrez qu’auprès de vous à toute heure on s’empresse.

On ne saurait voir trop souvent

La Vertu, la Bonté, les Grâces, la Sagesse.

Numéro
$7948


Année
1726 décembre




Références

F.Fr.15231, f°62r-63r