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Philippique contre M. le Chancelier

Philippique contre M. le Chancelier

 

Ainsi ma patrie est en proie

Aux plus exécrables forfaits !

Quel est le monstre dont la joie

Insulte aux malheurs qu'il a faits ?

La vertu n'a plus de retraites ;

La loi n'est plus ; ses interprètes,

Gémissent au fonds des déserts.

On connaît le monstre, on le nomme,

Et l'on ne trouve pas un homme

Qui veuille en purger l'Univers !

 

Des chansons et des épigrammes

Nous rendront-elles la santé ?

N’et-il donc plus de nobles âmes

Éprises de la liberté ?

Viens m'aider, généreux Scaevole,

Et tirer un peuple frivole

Du joug où l'on veut le courber.

Je vais à la foudre éternelle,

Montrer la tête criminelle

Sur qui ses coups doivent tomber.

 

L’enfer en courroux a fait naître

Parmi nous un affreux mortel.

Ce mortel  dit : il faut être

Faux ou trompé, faible ou cruel. 

Mon choix est fait : la fourberie,

L’impudence et la flatterie

Font toujours fortune à la Cour.

À cette séduisante idole

Il n’est rien que mon cœur n’immole

Je veux opprimer à mon tour.

 

D’abord sa naissance le place

Au sanctuaire de Thémis. 

Il le profane avec audace ;

Le fourbe se croit tout permis.

Père vertueux, mais crédule,

D’une intégrité ridicule

Il va te montrer les abus.

Mais que dira la renommée ?

Bon, c’est un mot, une fumée

Dont se repaissent les vertus.

 

On méprise toujours un traître,

En jouissant de ses forfaits :

Vieillard ! tu ne gagnes à l'être,

Que des opprobres et des regrets.

Tu vendis la magistrature,

Elle te proscrit et t’abjure

Comme le plus vil des humains.

Ce fils qui te réduit au crime,

Te rend la première victime,

De ses détestables desseins.

 

Enfin de bassesse en bassesse,

Au rang suprême il est monté ;

Le pouvoir acquis par souplesse

Se maintient par la cruauté.

Il n’est plus de frein qui l’arrête.

Des lois qui demandaient sa tête

Le glaive en ses main est remis ;

Tel de Jéus-Christ le vicaire

Ôse se jouer du tonnerre

Destiné pour ses ennemis.

 

Peuples qu'affame l'avarice,

Vous n'avez plus de défenseurs.

Le ministre de la Justice,

Est le chef de vos oppresseurs.

En vain d’un peuple famélique

Les cris frappent le saint portique ;

Tous nos sénateurs sont muets,

Et le monopoleur au prince

Dicte avec art pour la province

Quelques méprisables arrêts.

 

Pour qui gardez-vous les supplices,

Incorruptibles magistrats ?

Est-il parmi vous des complices

De ces infâmes attentats ?

Hé bien, au tyran qui l'accable

Livrez un peuple misérable,

Dont vos pères étaient l’appui.

Ce peuple juste en sa vengeance !

Gardera sur vous le silence silence,

Que vous avez gardé sur lui.

 

Soutiens de la France étonnée

La foudre s'éteint dans vos mains :

Vous n’osez de ce Salmonée

Être les juges souverains

Songez que sur la multitude,

Quand sa rapacité prélude,

Il veut essayer le danger.

Votre mollesse l'encourage ;

Il portera sur vous l'outrage,

Que vous ne savez pas venger.

 

Dès longtemps la haine publique

Demandait le sang d'un pervers,

Né pour l'effroi de l'Armorique,

Et le mépris de l'univers.

Aussi lâche que sanguinaire,

Jamais il ne livra la guerre

Qu'aux lois, aux mœurs, aux citoyens ;

Pour monter à tout, le parjure,

Et pour satisfaire sa rage,

Le fer, le poison, l’imposture

Sont ses plus honnêtes moyens.

 

Le cri du juste arrive au Trône,

Louis veut être détrompé ;

Du mensonge qui l'environne

Le nuage s'est dissipé ;

Déjà la sentence équitable

Chassele fortuné coupable

Du rang de ses augustes pairs :

Quelque part que son œil s'attache,

Il pnse voir tomber la hache,

Qui doit l'envoyer aux enfers.

 

D’Aiguillon bannis tes alarmes,

Maupeou deviendra ton appui.

Il saura te sosutraire aux armes

Qu'on pourrait tourner contre lui.

Chargé du public anathème,

Il redoute plus que toi-même

Le flambeau de la vérité.

Pour t’abandonner aux supplices

Entre tes forfaits et ses vices

Il voit trop de conformité.

 

Réunissez votre vengeance

Contre de communs ennemis.

Réunissez votre puissance

Pour la ruine de Thémis.

Par les mains d’une enchanteresse

Jettez un voile avec adrese

Sur les yeux du meilleur des rois.

Prouvez-lui que son rang suprême

Se réduirait au diadème

S'il n'anéantissait les lois.

 

Associez-vous ce ministre

Avorton de l'humanité,

Qui porte dans son œil sinistre

Tous les traits de la cruauté.

Si la bassesse de ses brigues

Ne peut seconder vos intrigues,

Qu'il vous serve au moins de bourreau ;

Il en a bien le caractère,

Et dans son lâche ministère,

Cet office n'est pas nouveau.

 

Un édit, de la monarchie

Vient saper tous les fondements.

De notre première anarchie

Maupeou fait renaître les temps.

On verra la patrie entière,

En un horrible cimetière

Changer les plus belles cités !

Hélas ! on va bientôt peut-être

 Arracher des mains de mon maître

Les droits qu'il n'a pas respectés.

 

Ô Louis ! Ô Père sensible

Des sujets les plus malheureux !

Quel prestige incompréhensible,

A donc pu t'irriter contre eux ?

Est-il sorti de ta mémoire,

Ce temps où tu plaçais ta gloire

A ne régner que par l'amour ?

Veux-tu régner par la furie ?

Ta tendrese pour la patrie

Disparaît-elle sans retour ?

 

Tu n'eus jamais besoin de maîtres

Pour rendre tes peuples heureux.

Veux-tu te dégager des traîtres ?

Daigne ne voir que par tes yeux.

Sois content de ta propre estime.

De ton âme simple et sublime

Consulte la sagacité,

La bienfaisance, la droiture,

Voilà la route la plus sûre

Qui conduise à la vérité.

 

À la France désespérée,

Grand roi, ne ferme pas tes bras.

Regarde Thémis éplorée

Te demandant ses magistrats.

L'Europe entière te contemple,

Songe que tu dois un exemple

Au siècle, à la postérité.

Onze lustres d'idolâtrie

Valent bien qu'on leur sacrifie

Le plaisir d'être redouté.

 

Citoyens qui gardez peut-être

Un faible reste de vertu,

Attendez-vous pour reparaître

Que l'ennemi soit abattu ?

Lorsque la céleste justice

Ordonne tout pour son supplice,

Qui vous fait rester en défaut ?

C'est aux angoisses de la roue

Que le Tout-Puissant le dévoue.

Allez dresser son échafaud.

 

Ne croyez pas que sa puissance

Le mette à l'abri du danger.

Dans les annales de la France

Allez apprendre à vous venger.

Pour un péculat moins indigne,

Poyet par un arrêt insigne

Des mêmes faisceaux dépouillé,

Expira, lâche mercenaire,

Sous les portes du sanctuaire

Que ses crimes avoient souillé.

 

Que vois-je ? Louis l'abandonne ;

Son âme s'ouvre à nos malheurs ;

Il nous chérit, il nous pardonne ;

Il veut rentrer dans tous les cœurs.

En vain tu voulus par tes vices,

Sur un Roi qui fait nos délices,

Amener la commune horreur.

A toi seul elle est attachée

Et sera bientôt épanchée

Dans le sang du persécuteur.

 

Le fer à tes yeux étincelle,

La balle siffle autour de toi.

Tu n'as pas un ami fidèle

Que tu puisses voir sans effroi,

Dans un sommeil rare et pénible,

Dans un repos inaccessible,

Le poison peut finir ton sort.

Contre toi l'univers conspire ;

Et l’air que ta bouche respire

Est peut-être un souffle de mort.

 

Envoi

C'est ainsi qu’en traçant la route

Du poignard jusques à ton cœur,

Je veux t'abreuver goutte à goutte,

Du calice de la terreur

Je crains peu ta recherche vaine :

Caché sous la publique haine,

J'insulte en paix à tes ennuis:

Et si Louis ne t'extermine,

C'est en te perçant la poitrine,

Que je t'apprendrai qui je suis.

 

10 mars 1771

 

Numéro
$8381


Année
1771 mars





Notes

Autre version de $5797 en 23 couplets au lieu de 28. Ordre tout différent, texte profondément modifié.