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Ode de l'Averdy à d'Aiguillon

Ode de l’Averdy à d’Aiguillon1

                     I2
En vérité, M. le duc,
Vos États ont le mal caduc
Et leurs accès sont effroyables3 .
Sur mon honneur, ils sont si fous
Qu’il nous faudra les loger tous
En peu de jours aux incurables.

                     II4
Je vais faire dans le conseil
Avec le plus grand appareil
Juger l’affaire des trois ordres,
Et puis après ce règlement
Pas pour un diable assurément
On ne pourra plus en démordre.

                     III5
Votre Monsieur de Kerguesec
Qu’on donne pour un si grand grec,
Et tout l’ordre de la noblesse
Pensent-ils nous faire la loi
Et que tous les sujets du roi
Paieront pour les tirer de presse ?

                     IV6
Je vous dirai premièrement
Que les Bretons certainement
Doivent être contribuables
Et tous ceux qui refuseront
Aux yeux du conseil paraîtront
Révoltés et déraisonnables.

                     V7
Je vous dirai secondement
Qu’ils forcent le gouvernement
A prendre un ton des plus sévères,
A se monter à la rigueur
Et quitter le ton de douceur
Qu’on avait pris dans leur affaire.

                     VI8
On voit souvent, sans nul danger,
Le maître à ses sujets céder,
Surtout dans le temps où nous sommes
Quand la raison, l’honnêteté
Vis-à-vis de l’autorité
Conduisent les esprits des hommes.

                   VII9
Mais aussi lorsque le démon
De révolte et de déraison
S’empara de la noblesse,
Pense-t-on que Sa Majesté
Laisse avilir l’autorité
En reculant avec faiblesse ?

                   VIII10
Je vous dirai, troisièmement,
Que les mandés du parlement
Sont quittes de reconnaissance,
Vous, les gentilshommes bretons
Qui se conduisant comme ils font
Ont retardé leur audience.

                     IX
Si l’ordre s’était comporté
Comme il devait, en vérité,
Et n’avait pas fait résistance,
Le retour de tous les mandés
Dès longtemps était accordé,
Monsieur le duc, à vos instances.

                      X11
Mais je ne dois pas vous céler,
Ni vous leur laisser ignorer
Que tous les jours le Roi s’irrite,
Et hier il disait hautement
A quel point il est mécontent
Des États et e leur conduite.

                     XI12
Pour les en faire revenir,
Et leur tout faire consentir,
Mettez donc toute votre peine
Si vous ne pouvez réussir,
Je vois le Roi prêt à partir,
Monsieur le duc, avant huitaine.

                     XII13
Ceci, de l’un à l’autre bout
Semble un conte à dormir debout ;
Mais cependant je vous assure
Que les trois articles présents
Et le dernier très nommément
Sont la vérité toute pure.

                     XIII14
Vous connaissez l’attachement
Et tous les autres sentiments
Avec lesquels j’ai l’honneur d’être
Votre très humble serviteur.
De l’Averdy, le contrôleur.
Publiez, s’il vous plaît, ma lettre.

                     XIV15
Fait en sortant de chez le Roi,
Mercredi cinq du présent mois
De mil sept cent soixante-quatre,
Et le tout écrit de ma main
Pour que vous soyez plus certain
Que l’on ne peut en rien rabattre16 .

                     XV17
Puis sur le dos il est écrit
Et contresigné L’Averdy.
Que l’on remette la présente
A Vignerot, noble Génois,
Premier commissaire du Roi
Aux États assemblés à Nantes.

Réponse d’Aiguillon à l’Averdy18
Vos ordres ont été suivis
Et dès dimanche avant midi,
Rohan publia votre ouvrage.
A l’instant ils crièrent tous
Que tous les deux nous étions fous,
Mais que vous l’étiez davantage.

  • 1 Parodie de la lettre adressée le 4 décembre au duc d’Aiguillon, gouverneur de la Bretagne, par M. de Laverdy. Les anciens oracles se rendaient toujours en vers, afin qu’on les retînt avec plus de facilité, et par la même raison on les mettait souvent en chant. On a cru devoir les mêmes honneurs aux sacrées paroles de M. le contrôleur Laverdy, en donnant une traduction en vers de sa lettre au duc d’Aiguillon. Les lois scrupuleuses de la traduction n’ont pas laissé beaucoup d’essor à l’enthousiasme poétique. (Correspondance littéraire de Grimm.) (R)
  • 2En vérité, Monsieur le duc, la folie de vos États de Bretagne devient incurable.
  • 3Les états de Bretagne, en hostilité avec le duc d’Aiguillon, refusaient, d’accord avec la magistrature, de voter les impôts. (R)
  • 4Il ne reste plus d’autre parti à prendre que de faire régler au Conseil l’affaire des trois ordres, et après cette décision solennelle il n’y aura plus de remède.
  • 5Demandez donc bien net à l’ordre de la noblesse et à M. de Kerguesec en particulier, si leur intention est,
  • 61. Que toutes impositions cessent en Bretagne et s’ils comptent que les autres sujets du Roi paieront pour les Bretons ?
  • 72. Veulent-ils forcer le gouvernement à se monter sur le ton de rigueur et à quitter le ton de douceur qui’l avait pris ?
  • 8Lorsque la raison et l’honnêteté conduisent les hommes, l’autorité peut céder, parce qu’il n’y a pas d’inconvénient.
  • 9Mais lorsque la déraison et la révolte s’emparent des esprits, il ne reste d’autre parti à prendre que celui de la sévérité, et il y aurait du danger d’en user autrement. Pense-t-on que le Roi laisse avilir à ce point son autorité ?
  • 10VIII – Croit-on par là hâter le retour des *mandés ? Si a conduite de la noblesse avait été telle qu’elle devait être, il y a longtemps, M. le duc, que le Roi aurait accordé cette grâce à votre demande. *MM. de La Chalotais, de la Gascherie, de Kersalaun et de Montreuil, alors mandés à la suite de la cour.
  • 11Mais je ne puis vous cacher, ni, M. le duc, le laisser ignorer à l’ordre de la noblesse, que le Roi s’irrite, et hier encore il a parlé de manière à faire sentir son mécontentement.
  • 12Si, avant huit jours, l’ordre de la noblesse n’a pris le parti convenable, le Roi est prêt à partir.
  • 13On croira que ce que je vous mande est un conte. Je puis cependant vous assurer que c’est la pure vérité.
  • 14Vous connaissez, M. le duc, l’attachement et tout le sentiment avec lesquels, etc.
  • 15A Versailles, le 5 décembre 1764. N.B. – Cette lettre n’était point une lettre de bureau comme celle du 4 décembre qui disait presque les mêmes choses. Elle était écrite en entier par M. de l’Averdy (proprio pugno) et sur du papier ordinaire.
  • 16F.Fr.15142 reproduit la lettre du ministre qui a sservi de modèle à la parodie: Lettre de M. de l’Averdy à M. le duc d’Aiguillon - En vérité, Monsieur le Duc, l’affaire des États devient incurable ; il ne reste plus d’autre parti que de faire régler au Conseil l’affaire des trois ordres. Après cette décision solennelle il n’y aura plus de remède. Je demande à M. de Kerguesec si son intention et celle de la noblesse est 1° que toutes les exemptions fussent en Bretagne ; croit-il que les autres sujets du Roi payeront pour les Bretons ? Veut-il forcer le gouvernement à se monter sur le ton de rigueur et à quitter celui de douceur qu’il avait pris ? Lorsque la raison et l’honnêteté conduisent les hommes, l’autorité peut céder, parce qu’il n’y a point d’inconvénient ; mais lorsque la déraison et la révolte s’emparent des esprits, il ne reste d’autre parti que celui de la sévérité ; il y aurait du danger d’en user autrement. Croit-il que le Roi laisse à ce point avilir son autorité ? Croit-il par là hâter le retour des mandés ? Si la conduite de la noblesse avait été telle qu’elle devait être, le Roi aurait accordé cette grâce à sa demande ; mais le Roi s’irrite, et m’a encore parlé hier d’une manière à faire sentir tout son mécontentement. Si avant huit jours la noblesse n’a pas pris un parti convenable, le Roi est prêt à sévir. On croira peut-être que ce que je vous mande est un conte. Je puis cependant vous assurer que c’est la vérité Vous connaissez, etc. Signé L’Averdy.
  • 17N.B. – Le 17 octobre 1748, la république de Gênes admit au nombre de ses nobles M. d’Aiguillon. Son nom fut inscrit au livre d’or et il n’omet jamais ce titre de noblesse dans ses éminentes qualités.
  • 18La lecture de cette lettre faite publiquement par le duc de Rohan, le dimanche 9 décembre, donna lieu au couplet suivant.

Numéro
$4958


Année
1764




Références

Raunié, VIII, 29-32 - F.Fr.15142, p.25-31 - Arsenal 3128, f°385r-386r - BHVP, MS 703, f°175r-176v


Notes

Une autre parodie contemporaine du même genre se trouve en $1235.