Aller au contenu principal

Pont-Neuf

Pont-Neuf
Qu’on ne me parle plus des champs,
On ne m’y verra de longtemps,
Yo lan la derirette,
Car je suis trop aise à Paris,
Yo lan la deriri.

Les beautés y sont par milliers,
L’on en trouve en tous les quartiers,
J’ai bientôt tout vu, Dieu merci !

A Notre-Dame y a des gens
Qui soufflent dans de gros serpents,
En entrant, ça me fit frémi.

On en voit de gros et de gras
Avec leurs grandes peaux de chats,
Ils font les Raminogrobis.

J’ai vu le Val-de-Grâce itou,
Par dedans, ça est beau comme tout,
Il est rudement bien bâti1 .

A la Comédie par un trou
L’autre jour j’ai donné vingt sous,
Aussitôt on me la montri.

J’en vis qui poussaient des éclats
Et qui faisaient aller leurs bras,
Jarnigué ! c’était un plaisir.

Sur le Pont-Neuf quand j’y passis,
Le cheval de bronze j’y vis,
Le chapeau bas j’en approchi.

Dessus est le bon roi Henri,
Il a l’air d’un bon réjoui,
L’on dirait encore qu’il vit.

La Samaritaine est auprès,
On la voit qui prend le frais,
Et qui regarde l’eau courir.

J’ai vu des gens qui d’un air doux
Venaient me dire : Entrez chez nous,
Voyez, monsieur, qui vous plaît-il.

L’autre jour j’ai vu l’Opéra,
Sont des sorciers que ces gens-là,
J’en suis encor tout ahuri.

L’autre jour je me promenis
Dedans la place où l’on a mis,
Le roi qu’était avant celui-ci2 .

Il est là sur un piédestal,
Par la bride il tient son cheval,
L’on dirait qu’il s’en va partir.

En allant tout vison visu
Une autre place j’aperçu3 ,
Pour la regarder, j’accouris.

On y voit le roi tout doré,
Couvert d’un gros manteau fourré,
Et son bon ange derrière lui.

A ses pieds quatre gros bouviers,
J’ai vu qu’ils montraient leurs fessiers.
Ils avaient l’air tout déconfits.

Me promenant le long de l’eau,
J’aperçus un grand château4 ,
On y faisait du voulvary

J’avisais des gens dans la cour
Qui tambourinaient du tambour,
Les autres portaient des fusils.

Je demandais pourquoi cela,
L’on me répondit comme ça :
C’est que le roi demeure ici.

Je me coulais tout au travars
Des capitaines et des soudards,
Jusqu’au jardin je traversis.

Sur un pied de marbre, en entrant,
Je vis un grand homme tout blanc,
Qu’est planté là pour reverdir.

Là tout contre est un gros joufflu
Qui porte une dame à c… nu5 .
Il ressemble à Pillo-Bouffi.

J’ai vu le roi sur son balcon
Qui a bonne mine et façon ;
Il est plus beau qu’un Adonis.

Il avait un large ruban
Avec une plaque d’argent,
Qui reluisait sur son habit.

Près du Louvre j’étais un jour ;
J’entendis dans un grand carrefour,
Quelqu’un qui venait à grand bruit.

C’était monseigneur le Régent
Je le vis passer à l’instant.
Son carrosse m’éclaboussit.

La crotte en est sur mon pourpoint,
Mais je ne l’en ôterai point,
C’est tout ce que j’avons de lui.

C’est un compère bien nourri,
Tatigué ! comme il est fieuri.
L’on voit bien qu’il a du pain cuit.

Prions le bon Dieu tout-puissant,
Qu’il le rende un peu mieux faisant,
Et lui retourne son esprit.

Droit au Palais-Royal j’allis,
Madame la Régente j’y vis,
Tatigué ! quelle grosse gagny6  !

Dans un grand carrosse noir ;
Un grand homme tout noir j’y vis.
Deux soudards marchaient derrière lui.

Qui c’était, je le demandis,
Un grand prêtre me répondit :
Lan la derirette,
C’est celui-là qui s’est dédit7 ,
Lan la deriri.

 

Prions le Bon Dieu tout-puissant

qui le rende un peu mieux faisant

Lan la derirette

et l'y retourne son esprit

lan la deririri8

  • 1Le Val‑de‑Grâce, commencé par François Mansart, fut continué par Jacques Lemercier et terminé par Pierre Le Muet et Gabriel Le Duc. (R)
  • 2La place Royale (aujourd’hui place des Vosges) au Marais. Il y avait au centre une statue équestre de Louis XIII en bronze, due à deux artistes, Daniel Ricciarelli et Biard le fils. (R)
  • 3La place des Victoires. (R)
  • 4Les Tuileries. (R)
  • 5L’auteur veut sans doute faire allusion au groupe qui représentait l’Enlèvement d’Orithye par Borée, œuvre d’Anselme Flamen. (R)
  • 6La Régente avait adopté un genre de vie qui devait singulièrement contribuer à développer son embonpoint. « Mme d’Orléans est tellement indolente qu’il est impossible de voir une personne plus paresseuse ; toujours couchée sur un sofa, elle joue couchée. On n’a jamais entendu parler d’une pareille paresse. Elle s’est fait faire un canapé sur lequel elle reste couchée lorsqu’elle joue au lansquenet ; nous nous moquons d’elle, mais cela n’y fait rien. Elle joue couchée, elle mange couchée, elle lit couchée ; bref presque toute sa vie se passe couchée. » (Correspondance de Madame.) (R)
  • 7Le chancelier d’Aguesseau. (M.) (R)
  • 8Ce dernier couplet ne se trouve que dans Maurepas.

Numéro
$0428


Année
1720




Références

Raunié, III 267-72 - Clairambault, F.Fr.12698, p.31-34 - Maurepas, F.Fr.12630, p.359-66 - F.Fr.13656, p.513 (16 tercets seulement)