Aller au contenu principal

L'Entrée du nonce

L’entrée du nonce
Mon Dieu ! la pitoyable entrée
Que le nonce a faite aujourd’hui !
Hors deux ou trois grandes livrées,
Le reste était terne et flétri.

Les chevaux sont de franches rosses
Qu’on a couverts de vieux harnois,
Et l’on voit bien que les carrosses
Ont déjà servi plusieurs fois.

Les rubans et les festons même
Sont si fanés et si crasseux,
Que l’on a cru voir de Bohême
Venir une bande de gueux.

Eh quoi ! de la part du Saint-Père,
Qui reçoit tant d’argent de nous,
Envoyer ce traîne-misère !
C’est donc le pays des grigous ?

Il est venu, dit-on, en France,
Pour ranger l’État sous ses lois ;
Mais du Parlement la prudence
Saura lui donner sur les doigts1 .

Alors on lui dira : Pauvre homme,
Vous vous êtes cassé le nez,
Vous vouliez l’Inquisition de Rome,
Jamais vous ne l’établirez.

A Malte, vous prîtes la fuite
Afin d’éviter le gibet2
Qu’un juge comme vous mérite
Quand il condamne sans sujet.

Vous ne parlez que de potence3
Ou d’autres supplices divers !
Jésus souffrait en patience,
Et vous tourmentez l’univers.

Des jésuites la compagnie
Vous inspire ses sentiments,
C’est du royaume l’ennemie,
Le fléau des honnêtes gens.

Plus on vous voit et considère,
Plus on connaît à vos vertus
Que vous êtes venu sur terre,
Animé par Philotanus4 .

Si ce démon un jour se lasse,
A force de faire du mal,
Mettez un jésuite à sa place,
En ce genre il est sans égal.

Tel nonce est une sainte ruse
De l’esprit de Sa Sainteté,
Afin que l’on se désabuse
De la noire société5 .

  • 1« M. le nonce, dit Marais, donne ici des permissions de lire toutes espèces de livres, hérétiques ou autres, prohibitos et damnatos ; i lpermet aussi de lire ceux qui sont in judicio romano. Mais, le lendemain de son entrée, il y a eu un arrêt du Parlement qui a supprimé ses permissions et fait défenses d’en obtenir, comme contraires aux droits des ordinaires et aux maximes et usages du royaume. » (R)
  • 2« Il avait été ci‑devant inquisiteur du pape à Malte, où il voulut visiter les hôpitaux de la nation française, ce que nul de ses prédécesseurs n’avait osé entreprendre. La nation s’y opposa de telle manière qu’il n’osa passer outre, craignant qu’elle n’exécutât à son sujet la menace qu’elle avait faite de le jeter dans la Méditerranée. Le cardinal de La Trémoille, qui était en ce temps‑là chargé des affaires du Roi à Rome, en porta des plaintes au pape, et lui dit que, s’il voulait revoir son inquisiteur, il devait le retirer de Malte, ce qui fut cause de son retour. » (Mém. de Maurepas.) (R)
  • 3« Ce nonce est entreprenant ; il a demandé s’il n’y avait pas de poutences pour le Parlement » (Correspondance de Marais.) (R)
  • 4Philotanus est le titre d’un poème satirique de l’époque relatif aux querelles religieuses et dirigé contre les jésuites. (R)
  • 5De son infaillibilité (Castries)

Numéro
$0765


Année
1732 (Castries)




Références

Raunié, VI,10-13 - Clairambault, F.Fr.12704, p.95-97 - Maurepas, F.Fr.12633, p.49 - F. Fr. 10476, f°363r - F.Fr.15146, p.294-98 - F.Fr.15231, f°156r-157r - Stromates, I, 271-72 - Mazarine Castries 3985, p.3664-65


Notes

Chanson grivoise sur l’entrée du Nonce du Pape faite à Paris le dimanche 3 août 1732 (Stromates)