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Les exploits du P. Le Tellier

Ton crédit et ta gloire ont pris une autre face1 ;
Rien ne peut, Le Tellier, soulager ta disgrâce ;
L’archevêque jouit d’un triomphe nouveau
Quand le tien se détruit dans la nuit du tombeau.
Par tes ordres cruels l’éloquence craintive
Laissa gémir longtemps la vérité captive ;
Elle recouvre enfin toute sa liberté,
L’orage se dissipe et lui rend sa clarté.
Mais réponds à présent, et montre-nous quel titre
Des principes de foi t’érigeait en arbitre2  ?
L’exil et la prison signalant tes fureurs
Punissaient l’innocent sous prétexte d’erreurs ;
Tu versais le poison dans le sein de l’Église,
Sans que la plainte alors nous put être permise.
Quels désordres, ô ciel ! et que de lâchetés3  !
Livrant leur conscience au prix des bénéfices,
Ils t’accordaient ainsi les plus honteux services.
Sur ton égarement ouvre un moment les yeux ;
Connais de ton esprit l’effort audacieux.
Il fait naître aujourd’hui ces funestes disputes
Qui nous causent toujours d’inévitables chutes ;
C’est lui qui, n’écoutant que de faux préjugés,
Abandonne au péril tant de gens engagés.
Quelle ardeur t’animait ? Tu vois quelle est la suite
Qu’apporte à tes desseins cette aveugle conduite4 ;
Tu vois ce qu’a produit ta folle ambition ;
De nos savants prélats elle rompt l’union,
Et, voulant tout ranger sous son obéissance,
De l’Église alarmée affaiblit la puissance.
Était-ce là comment il fallait prévenir
Les maux qui selon toi menaçaient l’avenir ?
Avoue ici plutôt qu’une gloire trompeuse
Flattait les sentiments de ton âme orgueilleuse ;
Tu tâchais d’affermir ton pouvoir combattu
Sur les tristes débris du mérite abattu.
Mais puisque ton projet avorte en sa naissance
Désormais la retraite est l’unique assurance
Qui te reste pour fuir les ennemis jaloux
Qu’arme contre toi seul un trop juste courroux.

  • 1« Dieu ! quel changement dans l’Église et dans l’État après la mort de Louis XIV ! Le croirions‑nous, si nous ne l’avions vu ? Le cardinal de Noailles, qui depuis dix-huit mois était exilé de la cour, y fut reçu comme en triomphe quatre heures après la mort du roi. Le P. Le Tellier, tout-puissant quelques jours devant, y tomba dans un décri inexprimable. Bien lui en prit de se cacher à l’arrivée du cardinal, s’il se fût montré en ce moment, combien de reproches, d’insultes, d’avanies, aurait‑il eu à essuyer, tant on était irrité contre lui ! Les obsèques du roi furent à peine finies que ce Père, par ordre de la cour, fut chassé de Paris comme un perturbateur public, comme un homme odieux à tout le monde,;il reçut l’ordre d’aller ronger son frein d’abord à Amiens, où il resta assez longtemps (quatre ans), ensuite à la Flèche, que les principaux des jésuites regardent comme la voirie, où depuis il n’a été mention de lui. Il y mourut, deux mois après, de chagrin, presque de maladie, oublié du peu qu’il avait eu d’amis, haï de ses confrères, qu’il avait traités durement tant qu’il avait été en place. » (Mémoires de l’abbé Legendre) (R)
  • 2Si l’on en juge par les faits, le P. Le Tellier n’avait pas précisément lieu de s’ériger en arbitre de la foi, puisque son livre sur les Cérémonies chinoises avait été condamné par la Sorbonne et par le pape. (R)
  • 3Il manque ici un vers que les Recueils manuscrits ne donnent pas. (R)
  • 4« Ses confrères, effrayés de son trop de vivacité dès les premiers mois qu’il fut confesseur du roi, disaient : « Il nous mène grand train, gare qu’il ne nous verse à aller si vite ! C’était un homme de collège, peu propre aux grandes affaires, assez téméraire pour les entreprendre, pas assez habile pour les bien conduire, ni assez sage pour les bien finir. » (Mémoires de l’abbé Legendre.) (R)

Numéro
$0059


Année
1715




Références

Raunié, I,70-73 - Clairambault, F.Fr.12695, p. 615-16 - Maurepas, F.Fr.12628, p.33-34