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Lettre anecdote du R.P. Tartuffe au R.P Caffard, supérieur des missions apostoliques

Lettre anecdote du R.P. Tartuffe
         au R.P. Caffard,

supérieur des Missions apostoliques
Pax Christi, mon Révérend Père.
Enfin par la Société
Notre vigilance a su faire
Renaître la tranquillité.
Bénissons-en le chef suprême
De notre illustre faction.
En gémisse la vertu même
Nous avons les clés de Sion.
Jadis Escobar notre maître
Fut traité comme un scélérat.
Mais quel changement va paraître !
Qu’on entonne Magnificat !
Plus rien chez lui d’hétérodoxe
Qui blesse la religion,
Sa morale est très orthodoxe,
Ses dogmes n’ont rien que de bon.
Il est aujourd’hui dans l’Église
Le docteur le plus révéré
Et bientôt on le canonise.
Ainsi mon Père, laetare.
C’est bien le moins qu’on lui accorde
Cette grâce pour ses bienfaits
Cela vaut bien mieux que la corde
Dont on honora nos Garnet1
Taisez-vous donc, troupe vulgaire,
Qui dites que de la vertu
Notre Escobar fut l’adversaire.
Voilà votre orgueil abattu.
Sanchez, Tambourin et Vachez
Vous avez part à la victoire
Et vous, çà, Sirmond et Sanchez2
C’est ici votre propre gloire,
Vous dont la morale exécrable
Fit trembler tous les bons chrétiens
Et dont la conduite damnable
En aurait fait de vrais païens,
Si contre une telle entreprise
Tous les saints prélats animés
Avec les foudres de l’Église
Ne vous eussent pas abîmés3 .
Il est vrai que dans la tempête
On vous a vus plus d’une fois
Lever superbement la tête
Et quoique bientôt aux abois4
Par ces foudroyantes censures
Sans vous relâcher d’aucun point
Vous prîtes si bien vos mesures
Que de diables on vous crut saints.
Vous tous, en un mot, qui de Dieu
Bravant la suprême puissance
Par vos forfaits audacieux
Tous les jours armez la vengeance,
Sortez maintenant du Tartare
Où Molina vous a conduits,
Venez tous admirer les fruits
Des leçons de cet homme rare
Girard, un de vos chers confrères,
Enseigné par lui seulement,
Sans dégénérer de ses pères
Croit aussi que du firmament
Il est beaucoup plus de chemin
Il en trouve chez la Cadière
Et par devant et par derrière
Est-il quelque diable plus fin ?
Sa belle par saint Paul instruite
Croit que la fornication
Est une mauvaise action
Et d’une dangereuse suite.
La question approfondie,
Girard la fait sortir d’erreur,
Lui dit que c’est une folie,
Qu’il faut se livrer de bon cœur,
Que selon la Sainte Écriture
Tout ce qui entre dans le corps
À l’âme ne fait aucun tort,
Pas même la moindre souillure.
Par maint beau trait il lui étale
Que le péché, s’il y en a,
Est seulement dans le scandale
Que l’on pourrait causer par là ;
Lui dit que l’infaillible Rome,
Où réside la vérité,
En faveur du faible de l’homme
Donne la sainte liberté
D’aller en certain monastère
Qu’à Vénus on a dédié,
Où par des règles moins austères
Les crimes sont sanctifiés.
Là sont des belles à foison
Qui dessous les yeux du Saint-Père
Vendent leur prostitution
Dont ils lui payent le salaire,
Et l’argent que gagne Vénus
Est répandu dans les familles
Par des éditeurs d’Oremus
Pour marier de chastes filles.
C’est ainsi que Sa Sainteté
Qui entre dans notre nature
En connaît la fragilité
Et que de notre géniture
Sachant toute l’activité
De l’action la plus impure
Il a banni l’impureté.
Enfin Girard dit tant, fit tant,
Qu’après un peu de résistance
Qui fut fait par bienséance,
De sa belle il fut très content.
Elle prit goût à sa doctrine
Et n’en reçut pas dix leçons
Que sans se cabrer en mutine
Elle sut goûter ses raisons.
Le cas parut, il fit le diable,
Le peuple voulut le brûler.
Le forfait était effroyable,
Mais on sut si bien cabaler
Dans cette triste conjoncture
Qu’on le sauva de la brûlure.
Non qu’il ne la méritât bien,
Mais si dans notre compagnie
On brûlait tout ce qui ne vaut rien
En resterait-il, je vous prie ?
La France indignée en soupire
Et nos consternés ennemis
Ne cessent un moment de dire
Que l’or a désarmé Thémis.
Qu’importe, après tout. Dans la France
Maîtres absolus, sans égaux,
On redoute notre puissance,
On respecte jusqu’à nos maux.
En vain de l’horreur de nos crimes
Nous effrayons tout l’univers
En vain de nos forfaits divers
On nous demande pour victimes ;
En vain nous sommes des cagots
Relâchés et faux casuistes
En vain, pour tout dire en un mot
Nous sommes de vrais jésuites,
On n’oserait crier vengeance.
Nous n’en craignons point la rigueur
Pour nous Thémis est sans balance
Et les lois n’ont point de vigueur.
Dans ce haut point de notre gloire
Nous allons du Père Girard
Dans quelques jours tout au plus tard
Faire écrire la sainte histoire
Et sa canonisation
Se fera par provision.
On verra que dans le royaume
Notre crime est autorisé
Et par ce saint canonisé
Que l’on peut… [sic] en Sodome.
Ainsi mon précieux Jésus-Christ,
Faites savoir par tout le monde
Qu’en France aujourd’hui tout nous rit.
Notre politique profonde
Qui détruit la religion
Nous rend maître de cet empire
Où notre domination
S’étend sur tout ce qui respire.
Portez-en l’heureuse nouvelle
Chez les peuples de l’Orient
Et que notre gloire immortelle
Passe jusque dans l’Occident.
Que nos confrères de la Chine
En soient instruits dans peu de jours
Et qu’ils apprennent nos bons tours
Comme nous savons leur rapine ;
Qu’ils sachent que de nos sujets
Nous faisons rouler les carrosses,
Que par nous on obtient des crosses,
Que par nous on a des brevets.
Des pensions dépositaires,
Nous nous faisons des courtisans
Dont les services mercenaires
Ne nous coûtent que des présents.
Et si quelqu’un veut faire voir
Que l’État tombe en décadence
Par notre funeste pouvoir
La Bastille est sa récompense.
Ainsi nous trompons un grand roi
Qui croit voir en nous de saints hommes
Et qui serait saisi d’effroi
S’il connaissait ce que nous sommes.
Par notre extérieur cagot
Sa religion est séduite.
Nous lui montrons l’homme dévot
Et lui cachons le Jésuite.
Surtout gardez le décorum.
Suivez toujours les mêmes traces.
En signe d’action de grâces
Faites chanter le Te Deum.
Il est vrai que dans la tempête
On vous a vus plus d’une fois
Lever superbement la tête
Et quoique bientôt aux abois
Par ces foudroyantes censures
Sans vous relâcher d’aucun point
Vous prîtes si bien vos mesures
Que de diables on vous crut saints.
Vous tous, en un mot, qui de Dieu
Bravant la suprême puissance
Par vos forfaits audacieux
Tous les jours armez la vengeance,
Sortez maintenant du Tartare
Où Molina vous a conduits,
Venez tous admirer les fruits
Des leçons de cet homme rare
Girard, un de vos chers confrères,
Enseigné par lui seulement,
Sans dégénérer de ses pères
Croit aussi que du firmament
Il est beaucoup plus de chemin
Il en trouve chez la Cadière
Et par devant et par derrière
Est-il quelque diable plus fin ?
Sa belle par saint Paul instruite
Croit que la fornication
Est une mauvaise action
Et d’une dangereuse suite.
La question approfondie,
Girard la fait sortir d’erreur,
Lui dit que c’est une folie,
Qu’il faut se livrer de bon cœur,
Que selon la Sainte Écriture
Tout ce qui entre dans le corps
À l’âme ne fait aucun tort,
Pas même la moindre souillure.
Par maint beau trait il lui étale
Que le péché, s’il y en a,
Est seulement dans le scandale
Que l’on pourrait causer par là ;
Lui dit que l’infaillible Rome,
Où réside la vérité,
En faveur du faible de l’homme
Donne la sainte liberté
D’aller en certain monastère
Qu’à Vénus on a dédié,
Où par des règles moins austères
Les crimes sont sanctifiés.
Là sont des belles à foison
Qui dessous les yeux du Saint-Père
Vendent leur prostitution
Dont ils lui payent le salaire,
Et l’argent que gagne Vénus
Est répandu dans les familles
Par des éditeurs d’Oremus
Pour marier de chastes filles.
C’est ainsi que Sa Sainteté
Qui entre dans notre nature
En connaît la fragilité
Et que de notre géniture
Sachant toute l’activité
De l’action la plus impure
Il a banni l’impureté.
Enfin Girard dit tant, fit tant,
Qu’après un peu de résistance
Qui fut fait par bienséance,
De sa belle il fut très content.
Elle prit goût à sa doctrine
Et n’en reçut pas dix leçons
Que sans se cabrer en mutine
Elle sut goûter ses raisons.
Le cas parut, il fit le diable,
Le peuple voulut le brûler.
Le forfait était effroyable,
Mais on sut si bien cabaler
Dans cette triste conjoncture
Qu’on le sauva de la brûlure.
Non qu’il ne la méritât bien,
Mais si dans notre compagnie
On brûlait tout ce qui ne vaut rien
En resterait-il, je vous prie ?
La France indignée en soupire
Et nos consternés ennemis
Ne cessent un moment de dire
Que l’or a désarmé Thémis.
Qu’importe, après tout. Dans la France
Maîtres absolus, sans égaux,
On redoute notre puissance,
On respecte jusqu’à nos maux.
En vain de l’horreur de nos crimes
Nous effrayons tout l’univers
En vain de nos forfaits divers
On nous demande pour victimes ;
En vain nous sommes des cagots
Relâchés et faux casuistes
En vain, pour tout dire en un mot
Nous sommes de vrais jésuites,
On n’oserait crier vengeance.
Nous n’en craignons point la rigueur
Pour nous Thémis est sans balance
Et les lois n’ont point de vigueur.
Dans ce haut point de notre gloire
Nous allons du Père Girard
Dans quelques jours tout au plus tard
Faire écrire la sainte histoire
Et sa canonisation
Se fera par provision.
On verra que dans le royaume
Notre crime est autorisé
Et par ce saint canonisé
Que l’on peut… [sic] en Sodome.
Ainsi mon précieux Jésus-Christ,
Faites savoir par tout le monde
Qu’en France aujourd’hui tout nous rit.
Notre politique profonde
Qui détruit la religion
Nous rend maître de cet empire
Où notre domination
S’étend sur tout ce qui respire.
Portez-en l’heureuse nouvelle
Chez les peuples de l’Orient
Et que notre gloire immortelle
Passe jusque dans l’Occident.
Que nos confrères de la Chine
En soient instruits dans peu de jours
Et qu’ils apprennent nos bons tours
Comme nous savons leur rapine ;
Qu’ils sachent que de nos sujets
Nous faisons rouler les carrosses,
Que par nous on obtient des crosses,
Que par nous on a des brevets.
Des pensions dépositaires,
Nous nous faisons des courtisans
Dont les services mercenaires
Ne nous coûtent que des présents.
Et si quelqu’un veut faire voir
Que l’État tombe en décadence
Par notre funeste pouvoir
La Bastille est sa récompense.
Ainsi nous trompons un grand roi
Qui croit voir en nous de saints hommes
Et qui serait saisi d’effroi
S’il connaissait ce que nous sommes.
Par notre extérieur cagot
Sa religion est séduite.
Nous lui montrons l’homme dévot
Et lui cachons le Jésuite.
Surtout gardez le décorum.
Suivez toujours les mêmes traces.
En signe d’action de grâces
Faites chanter le Te Deum.

 

  • 1Jean Garnet, jésuite, fut pendu pour avoir eu part à la conspiration des poudres. Néanmoins ses confrères eurent l'effronterie, après cette mort infâme de faire graver et vendre son tableau publiquement comme celui d'un saint. (BHVP, MS 602)
  • 2Six casuistes de la Société, fameux pour leur relâchement dans la morale. (BHVP, MS 602)
  • 3Leur morale et celle de leurs confrères fut censurée en 1650 par l'université de Louvain, en 1700 par le clergé et depuis encore,mais ils s'en moquent. (BHVP, MS 602)
  • 4Le livre du Père Moya connu sous le nom de Amadeus Guimenius fut condamné en 1666 par la congrégation de l'Indice, en 1675 par le Saint-Office, enfin condamné au feu par Innocent XI en 1680, et malgré ces censures ce livre est en grande recommandation chez les jésuites… (BHVP, MS 602)

Numéro
$2054


Année
1732




Références

F.Fr.23859, f°174r-177r - BHVP, MS 602, f°195v-199r -