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Les Jésuites de France

Les jésuites de France1
Hélas ! grand Dieu, dans quelle décadence
Semble tomber l’empire des Francais !
De ce climat je vois fuir l’innocence,
L’on perd les mœurs, l’on méprise les lois ;
Le gazetier de l’Église de France
En sait la cause et l’a dit mille fois.

Dans la province il n’est plus d’abondance
Et la misère habite les cités.
On gagne peu, on fait grande dépense,
Les grands succès sont des iniquités :
Tant qu’on aura des jésuites en France,
Il faut s’attendre à ces calamités.

Les parents sont en mésintelligence,
Chez les amis plus de sincérité ;
Pour les bienfaits plus de reconnaissance ;
Pour le malheur beaucoup de dureté :
Depuis qu’on a des jésuites en France,
Le genre humain n’a plus d’humanité.

Dans les discours ce n’est que médisance,
Goûts de satire ou de frivolités.
Dans les écrits on ne voit qu’indécence,
Style frondeur, jargon d’impiété.
Si l’on ne pend les jésuites de France,
Adieu bonheur, pudeur et probité.

Pour les fripons les emplois d’importance,
Pour les catins l’or et les diamants ;
Le vice heureux nage dans l’opulence,
Les gens de bien sont les seuls indigents :
Si l’on ne pend les jésuites de France,
Point de bonheur pour les honnêtes gens.

Aspire-t-on à vivre dans l’aisance ?
Il faut atteindre au rang des maltôtiers ;
Dans le commerce il n’est plus d’espérance
Et la fortune est pour les usuriers :
Si l’on ne pend les jésuites de France,
Tous les marchands seront banqueroutiers.

Luxe insolent chez les gens de finance,
Air cavalier parmi les magistrats ;
Peu de talents dans la jurisprudence,
Beaucoup d’orgueil parmi les avocats :
Si l’on ne pend les jésuites de France,
La vanité perdra tous les états.

Dans les plaisirs aucune tempérance,
Dans les repas point de sobriété ;
Tout dégénère, et dès l’adolescence,
Nos citoyens tombent de vétusté :
Tant qu’on aura des jésuites en France,
L’on ne vivra que pour la volupté.

Un monstre affreux, de la plus noire engeance,
D’un de nos rois osa percer le sein.
Ce Roi si bon, si rempli de clémence,
Valois périt ! quel était l’assassin ?
C’était sans doute un jésuite de France
Qui se couvrit d’un froc de jacobin.

Mais ces gens-là, pleins de l’obéissance
Qu’on doit aux rois, la prêchent sur les toits.
Voudraient-ils donc attaquer leur puissance ?
Sans elle-même ils seraient aux abois ;
Malgré cela, les jésuites de France
Seront toujours les assassins des rois.

Ils sont pourtant fameux pour la science,
Et pour l’esprit ils ont peu de rivaux.
Soumis aux lois d’une austère observance
Rien n’est égal à leurs pieux travaux ;
Malgré cela, les jésuites de France
Seront toujours les plus tristes fléaux.

Ceux que je vois, selon toute apparence,
Sont tous humains, ont un excellent cœur ;
Ils sont remplis de soins, de complaisances :
Malgré cela, ces gens-là me font peur.
Le seul habit d’un jésuite de France
A l’univers pourrait porter malheur.

 

  • 1 - A la suite de la banqueroute du P. La Valette, supérieur des Jésuites à la Martinique, les statuts des Jésuites durent être déposés au greffe du Parlement, et leur examen entraîna la suppression de l’ordre en France. (R)

Numéro
$1191


Année
1761




Références

Raunié, VII, 325-28 - Clairambault, F.Fr.12721, p.337-40 - F.Fr.10479, f°626-627 - Barbier-Vernillat, III, 155-56