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Louange et blâme du cardinal de Noailles

Louange et blâme du cardinal de Noailles
Parlons de notre cardinal,
A-t-il bien fait, a-t-il fait mal ?
Destituant plus d’un jésuite1 ,
On ne peut blâmer sa conduite ;
Mais, en dispersant Port-Royal2 ,
Il faut dire qu’il a fait mal.

Parlons du même cardinal ;
Jugeant que la bulle est maudite,
On ne peut blâmer sa conduite,
Mais n’osant s’expliquer tout net3 ,
Il faut dire qu’il a mal fait.

Parlons toujours du cardinal ;
Quand de Quesnel le livre il loue4
Personne ne lui fait la moue,
Mais lorsqu’un tel livre il défend,
On la lui fait assurément.

Parlons toujours du cardinal ;
Quand du Cas il fit quelque estime5 ,
Il ne fit pas un fort grand crime
Mais quand il le fit rétracter,
Alors tous devaient résister.

Parlons toujours du cardinal ;
Faisant signer le formulaire,
Quant au Droit, qu’on le laisse faire6 ,
Mais lorsqu’il fait signer le Fait,
Il faut dire que mal il fait.

Parlons toujours du cardinal ;
A Rome dénonçant Sfondrate7 ,
Sa foi comme son zèle éclate,
Mais abandonnant ce projet,
Il faut dire qu’il a mal fait.

Parlons toujours du cardinal ;
Quand il défend la comédie8 ,
Qu’il n’ait pas bien fait, je le nie,
Mais quand pour aumône il y met
Une taxe, à lui c’est mal fait.

Encore un mot du cardinal9 ;
Quand par ses mœurs il édifie
Il est juste qu’on le publie,
Mais quand loterie il permet,
Alors on dit qu’il a mal fait.

  • 1Le cardinal de Noailles avait une première fois interdit les jésuites de son diocèse (1714) ; il renouvela son interdiction (1716) lorsque ses ennemis recommencèrent leurs intrigues, et n’excepta de cette mesure que les PP. Gaillard, La Rue, Lignières et du Trévoux. (R)
  • 2Dans l’affaire de Port‑Royal, il avait été, sans y prendre garde, l’instrument du P. Le Tellier. « Il en sentit l’énormité, remarque judicieusement Saint‑Simon, après qu’il se fut mis hors d’état de parer un coup qui avait passé sa prévoyance. Il n’en fut pas mieux avec les molinistes, mais beaucoup plus mal avec les jansénistes, ainsi que les jésuites se l’étaient bien proposé. » (R)
  • 3Dans les démêlés suscités par la Constitution, la conduite du cardinal de Noailles manqua souvent de netteté et de logique, témoin la destruction de Port‑Royal. (R)
  • 4Alors qu’il était évêque de Chalons, il avait approuvé dans un mandement les Réflexions morales du P. Quesnel. (R)
  • 5Le Cas de conscience était une sorte de problème théologique, proposé en l’année 1701, dans lequel un confesseur demandait « s’il était permis de donner les sacrements à un homme qui aurait signé le formulaire en croyant dans le fond du cœur que le pape et même l’Église pouvaient se tromper sur le fait ». A cette question quarante docteurs répondaient par l’affirmative. Après avoir pendant quatre ou cinq mois favorisé le cas, le cardinal de Noailles le flétrit énergiquement. On trouvera cette affaire longuement expliquée dans les Mémoires de l’abbé Legendre (chap. v). (R)
  • 6La distinction du fait et du droit était une pure subtilité imaginée par les jansénistes ; ils prétendaient que l’Église n’est infaillible en aucun fait, hors le fait révélé ; le pape au contraire voulait être cru sur les faits aussi bien que sur le droit. « L’archevêque de Paris ordonna qu’on crût le droit d’une foi divine, et le fait d’une foi humaine, les autres évêques et même Fénelon, qui n’était pas content de M. de Noailles, exigèrent la foi divine pour le fait. » Clément XI trancha la difficulté dans sa bulle Vineam Domini, il ordonna de croire le fait, sans s’expliquer si c’était d’une foi divine, ou d’une foi humaine. (R)
  • 7Le cardinal Sfondrate dans son Nodus Praedestinationis dissolutus avait émis des idées peu exactes sur la grâce et sur le péché originel ; le cardinal de Noailles et quatre évêques de France dénoncèrent le livre à la cour de France. Mais il fut défendu par le cardinal Gabrielli, et les prélats français n’en purent obtenir la condamnation. (R)
  • 8« Le prélat demanda qu’on supprimât la comédie, ou du moins qu’on en corrigeât les principaux abus, en ne permettant aux comédiens de jouer qu’en de certains temps et de ne jouer que certaines pièces, après même que ces pièces auraient été examinées par des hommes de confiance. Il avait oublié que dans un monde comme est Paris, c’est sagesse et nécessité de souffrir de petits désordres pour en prévenir de plus grands » (L’abbé Legendre.) (R)
  • 9Nous avons déjà cité le jugement de Voltaire favorable au cardinal. Voici maintenant celui de l’abbé Legendre, qui se montre beaucoup plus sévère pour le prélat : « Ce fut un malheur pour lui que la fortune l’eût élevé à l’archevêché de Paris. Il n’était point né pour une si grande place ; il faut pour la remplir un génie supérieur, des talents, de la capacité, et c’est ce qu’il n’avait point. C’était un petit esprit, léger et inégal, esprit tracassier, pointillant et barguignant en tout, aimant à ruser, disant oui et non, ne jugeant du bien et du mal que selon ses préventions, sottement orgueilleux, puérilement vindicatif, ne se possédant plus pour peu qu’on lui résistât. Il pensait peu et ne faisait rien que par autrui. Jaloux cependant d’être informé de tout, il affectait d’épiloguer, même opiniâtrement, pour en paraître plus entendu. Les gens qui pensaient et travaillaient pour lui n’en étaient point les dupes, ils ne savaient que trop combien sa sphère était bornée. Aussi, après avoir bien vétillé acquiesçait‑il aveuglément à tout ce qu’ils lui proposaient. Il se présentait mal ; son air béat et indolent, ses cheveux plats, son ton de voix languissant et niais, ne donnaient pas de lui une grande idée en l’abordant. » (R)

Numéro
$0127


Année
1716




Références

Raunié, II,70-73 - Clairambault, F.Fr.12696, p.61-63 - Maurepas, F.Fr.12628, p.281-83