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Contre la calomnie

Contre la calomnie1

Écoutez-moi, ma charmante Émilie

Vous êtes belle ; ainsi donc la moitié

Du genre humain sera votre ennemie

Vous possédez un sublime génie ;

On vous craindra : votre tendre amitié

Est confiante, et vous serez trahie.

Votre vertu, dans sa démarche unie,

Simple et sans fard, n’a point sacrifié

À nos dévots ; craignez la calomnie.

Attendez-vous, s’il vous plaît, dans la vie,

Aux traits malins que tout fat à la cour,

Par passe-temps, souffre et rend tour à tour.

La Médisance est l’âme de ce monde

Elle y préside, et sa vertu féconde

Du plus stupide échauffe les propos ;

Rebut du sage, elle est l’esprit des sots.

En ricanant, cette maigre furie

Va de sa langue épandre les venins

Sur tous états ; mais trois sortes d’humains,

Plus que le reste, aliments de l’envie,

Sont exposés à sa dent de harpie :

Les beaux esprits, les belles, et les grands,

Sont de ses traits les objets différents.

Quiconque en France avec éclat attire

L’oeil du public, est sûr de la satire ;

Un bon couplet, chez ce peuple falot,

De tout mérite est l’infaillible lot.

La jeune Églé, de pompons couronnée,

Devant un prêtre à minuit amenée,

Va dire un oui, d’un air tout ingénu,

À son mari, qu’elle n’a jamais vu.

Le lendemain, en triomphe on la mène

Au cours, au bal, chez Bourbon, chez la reine ;

Le lendemain, sans trop savoir comment,

Dans tout Paris on lui donne un amant ;

Roy la chansonne, et son nom par la ville

Court ajusté sur l’air d’un vaudeville.

Églé s’en meurt : ses cris sont superflus.

Consolez-vous, Églé, d’un tel outrage :

Vous pleurerez, hélas ! bien davantage,

Lorsque de vous on ne parlera plus.

Et nommez-moi la beauté, je vous prie,

De qui l’honneur fut toujours à couvert ?

Lisez-moi Bayle, à l’article Schomberg.

C’est de tout temps ainsi que la satire

A de son souffle infecté les esprits.

La terre entière est, dit-on, son empire

Mais, croyez-moi, son trône est à Paris.

Là, tous les soirs, la troupe vagabonde

D’un peuple oisif, appelé le beau monde,

Va promener de réduit en réduit

L’inquiétude et l’ennui qui la suit ;

Là, sont en foule antiques mijaurées,

Jeunes oisons, et bégueules titrées,

Disant des riens d’un ton de perroquet,

Lorgnant des sots, et trichant au piquet ;

Blondins y sont, beaucoup plus femmes qu’elles,

Profondément remplis de bagatelles,

D’un air hautain, d’une bruyante voix,

Chantant, dansant, minaudant à la fois.

Si, par hasard, quelque personne honnête,

D’un sens plus droit et d’un goût plus heureux,

Des bons écrits ayant meublé sa tête,

Leur fait l’affront de penser à leurs yeux,

Tout aussitôt leur brillante cohue,

D’étonnement et de colère émue,

Court en cent lieux de ses traits affubler,

Calomnier, désoler, accabler

Cette étrangère en leur pays venue.

Comme un essaim de frelons envieux,

Pique et poursuit cette abeille charmante,

Qui leur apporte, hélas ! trop imprudente,

Ce miel si pur et si peu fait pour eux.

Quant aux héros, aux princes, aux ministres,

Sujets usés de nos discours sinistres,

Qu’on m’en nomme un dans Rome et dans Paris,

Depuis César jusqu’au jeune Louis,

De Richelieu jusqu’à l’ami d’Auguste,

Dont un Pasquin n’ait barbouillé le buste.

Le grand Colbert, dont les soins vigilants

Nous avaient plus enrichis en dix ans

Que les mignons, les catins et les prêtres,

N’ont, en mille ans, appauvri nos ancêtres ;

Cet homme unique, et l’auteur, et l’appui

D’une grandeur où nous n’osions prétendre,

Vit tout l’État murmurer contre lui ;

Et le Français osa troubler la cendre

Du bienfaiteur qu’il révère aujourd’hui.

Lorsque Louis, qui, d’un esprit si ferme

Brava la mort comme ses ennemis,

De ses grandeurs ayant subi le terme,

Vers sa chapelle allait à Saint-Denis,

J’ai vu son peuple, aux nouveautés en proie,

Ivre de vin, de folie, et de joie,

De cent couplets égayant le convoi,

Jusqu’au tombeau maudire encor son roi.

Vous avez tous connu, comme je pense,

Ce bon Régent qui gâta tout en France :

Il était fait pour la société,

Pour les beaux-arts, et pour la volupté ;

Il était grand, ingénieux, affable,

Jamais son cœur n’en parut infecté

E cependant les villes, les provinces,

Au plus aimable, au plus clément des princes,

Ont prodigué le nom d’empoisonneur

Nous les lisons ces archives d’horreur,

Ces vers impurs, appelés Philippiques,

De l’imposture éternelles chroniques ;

Et nul Français n’est assez généreux

Pour s’élever, pour déposer contre eux.

Des beaux esprits ouvrons ici le temple,

Temple autrefois l’objet de mes souhaits,

Que de si loin Cresus contemple,

Et que Launay ne visita jamais.

Entrons : d’abord on voit la Jalousie

Du dieu des vers la fille et l’ennemie,

Qui, sous les traits de l’Émulation,

Souffle l’orgueil, et porte sa furie

Chez tous ces fous courtisans d’Apollon,

Voyez leur troupe inquiète, affamée,

Se déchirant pour un peu de fumée,

Et l’un sur l’autre épanchant plus de fiel

Que l’implacable et mordant janséniste

N’en a lancé sur le fin moliniste,

Ou que Doucin, cet adroit casuiste,

N’en a versé dessus Pasquier-Quesnel.

Ce vieux rimeur, couvert d’ignominies,

Organe impur de tant de calomnies,

Cet ennemi du public outragé,

Puni sans cesse, et jamais corrigé,

Ce vil Rousseau, que jadis votre père

À, par pitié, tiré de la misère,

Et qui bientôt, serpent envenimé,

Piqua le sein qui l’avait ranimé ;

Et qui, mêlant la rage à l’impudence,

Devant Thémis accusa l’innocence ;

L’affreux Rousseau, loin de couler en paix

Des jours tissus de honte et de forfaits,

Vient rallumer, aux marais de Bruxelles,

D’un feu mourant les pâles étincelles,

Et contre moi croit rejeter l’affront

De l’infamie écrite sur son front.

Eh ! feront tous les traits satiriques

Que d’un bras faible il décoche aujourd’hui.

Et ces ramas de larcins marotiques,

Moitié français et moitié germaniques,

Qui, tous pétris de fureur et d’ennui

Seront brûlés, s’il se peut, avant lui.

Et vous Launay, vous, zoïle moderne,

D’écrits rimés barbouilleur subalterne,

Insecte vil qui rampez pour piquer

Et que nos yeux ne peuvent remarquer,

Je n’entends pas le bruit de vos murmures,

Je ne sens pas vos frivoles morsures,

Car Émilie en ces mêmes moments

Emplit mon cœur et tous mes sentiments,

De son esprit mon âme pénétrée

D’autres objets à peine est effleurée,

J’entends sa voix, je suis devant ses yeux ;

Que tous les sots me déclarent la guerre,

Loin de leur monde et porté dans les cieux

Je ne vois plus la fange de la terre.

  • 1L’on dit par Harouet ou Voltaire.

Numéro
$4687


Année
1734

Auteur
Voltaire



Références

 Clairambault, F.Fr.12705, p.237-44 - Maurepas, F.Fr.12633, p.335-41 - F.Fr.15147, p.64-76 - Stromates, I, 425-31