Aller au contenu principal

Chanson sur le père Bouettin

Chanson sur le P. Bouettin,

curé de Saint-Étienne du Mont
Or écoutez piteusement
Le triste et honteux accident
Arrivé dans la capitale
Par la quesneliste cabale
À un fameux Génovéfain.
Sans le nommer, c’est Bouettin.

De Saint-Etienne ce curé
Avait son zèle signalé
Sur un grand maître de collège
Qu’il voulait à petit cortège
Dépêcher au Diable dûment,
Lui refusant tout sacrement.

Le neveu du défunt Coffin
S’avisa-t-il pas un matin
De tomber en grand maladie
Et demander qu’on expédie
Chrétiennement son passeport
Pour voir le ciel après sa mort.

Le curé vous l’attendait là :
Ah ! Ah ! Mon drôle, te voilà.
Il n’y a pour un hérétique
Saintes huiles ni viatique.
De par Monseigneur de Beaumont
Je te rends la proie du démon.

Mais quand d’Argouges l’eût appris,
Ce magistrat dont tout Paris
Révère la haute science,
Il méprise cette sentence
Et l’oracle du Châtelet
La casse tout sec, tout net.

À l’archevêque en ce moment
Il s’en va crier fortement
Qu’un sien conseiller, son confrère,
Au lieu de trouver un bon père
Dans son curé n’a qu’un loup,
Un fanatique, un trouble tout.

Mécontent de M. Beaumont
Qui croit donner du galbanon
À notre bonne et fine mouche
Eh ! Vous en aurez une touche,
Dit d’Argouges en s’en allant,
J’en ai pincé de plus méchants.

Il va se plaindre à d’Argenson
Qui dans ce cas entend raison
Et qui regarde la prêtraille
Qui s’écarte comme canaille.
Allez, dit-il très sagement,
Vous adresser au Parlement.

Fut dit, fut fait à l’instant.
Monsieur le premier président
Envoie dire à notre bon père
De lui venir parler d’affaire ;
Mais celui-ci sentant son cas
Répondit qu’il ne pouvait pas.

C’est ici principalement
Que fondit sur notre innocent
La plus détestable malice
De la cabale l’injustice.
Vous allez sentir votre cœur
Gémir sur le pauvre pasteur.

Lors, tombé de fièvre en chaud mal
Il aura bien un autre bal.
Deux anges noirs portant baguette
Vont le prendre à la chemisette
En disant : haro, je te tiens,
Je t’emporte si tu ne viens.

Le pauvre père, tout tremblant,
Va chez le premier président
Qui d’abord le dépaternise,
L’interroge sur sa sottise,
Et lui parle sur le bon ton
Voulant de tout avoir raison.

Mais Bouettin comme un insolent
Lui répondit impudemment
Par une grossière bêtise,
Qu’il ne connaît point sa maîtrise
Et qu’il n’a d’autre supérieur
Que Beaumont, son premier pasteur.

Sur ce, Monseigneur de Maupeou
Prend la chose du mauvais bout
Et piqué de cette insolence
Qui ressemblait l’homme en démence
L’envoya bien vite au secret,
Mais tout le monde le savait.

Ensuite ce grand magistrat
Tous ses conseillers assembla
Pour savoir ce qu’il fallait faire
Dans une si vilaine affaire.
Il n’y en eut point qui n’eût voulu
Que frère Bouettin fût pendu.

Mais plus remplis de charité
Que n’avait été ce curé
(au respect de son caractère)
et pour vous abréger l’histoire,
ils se bornèrent seulement
à lui faire leur compliment.

Étant tous sur les fleurs de lys,
Très gravement et bien assis,
Ils firent venir la partie
Du fond de la conciergerie
Et chacun lui lança son coup
Comme à la fable du hibou.

Or, lui dit-on, frère Bouettin
Qui avez si bien fait le mutin,
Convenez-vous en conscience
Que nous avons sur vous puissance ?
Oui, dit-il, j’en dois convenir.
Vous me l’avez fait bien sentir.

Assurez-vous que désormais
Vous ne répéterez jamais
Une si sotte balourdise
Qui met le trouble dans l’Église ?
Messeigneurs, je vous le promets ;
À vos ordres je me soumets.

Sur ce pied-là vous donnerez
Par aumône et par charité
Un bon écu, monnaie de France
Comme honteuse pénitence.
Sortez vite de nos prisons,
Vous gâteriez vos compagnons.

Numéro
$4739


Année
1750?




Références

F.Fr.10478, f°445r-446v - Arsenal 4844, f°285r-286r